Moines de Tibéhirine : de nouvelles expertises renforcent les doutes sur la date de la mort

Vendredi 30 Mars 2018

Les tombes des sept moines de Tibéhirine (Algérie), enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 et dont seules les têtes ont été retrouvées.Les tombes des sept moines de Tibéhirine (Algérie), enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 et dont seules les têtes ont été retrouvées. Crédits : AFP

Nouvelle étape dans l’interminable enquête sur la mort des moines de Tibéhirine, enlevés en Algérie dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. Selon les conclusions des dernières expertises scientifiques, révélées jeudi 29 mars par Radio France, les moines auraient été tués avant la date officielle de leur mort, le 21 mai 1996, et décapités post mortem. Les prélèvements en question avaient été effectués en octobre 2014, en Algérie, lors d’une exhumation des crânes des religieux enterrés dans le jardin du monastère de Tibéhirine. L’opération avait été autorisée par Alger, mais les experts français s’étaient vu refuser le droit de les rapporter en France.

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Ils avaient tout de même publié un rapport intermédiaire en juin 2015, à partir des constatations faites sur place et de photographies. En se fondant sur ces éléments, les scientifiques avaient déjà avancé l’hypothèse d’une décapitation post mortem et d’un décès antérieur au 21 mai 1996. La période du 25 au 27 avril, précédemment citée par un témoin, leur apparaissait « vraisemblable ».

La version de la bavure « fragilisée »

Après deux années de discussions entre les autorités françaises et algériennes, la juge d’instruction Nathalie Poux a pu se rendre à Alger en juin 2016 pour récupérer les prélèvements. « Ce nouveau rapport d’expertise est très important dans la mesure où aucune autopsie n’avait jamais été effectuée depuis 1996 », rappelle l’avocat des familles des moines, Patrick Baudouin.

Rédigé par une équipe de huit experts, le document de 185 pages confirme que les têtes retrouvées sont celles des sept moines. Il atteste aussi que celles-ci ne présentaient pas de particule métallique, « ce qui fragilise la version selon laquelle une patrouille de l’armée aurait commis une bavure en tirant sur les moines depuis un hélicoptère, souligne Me Baudouin, sans pour autant l’éliminer totalement puisque les corps des moines n’ont pas été retrouvés ».

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Selon les experts, les crânes ont probablement été inhumés une première fois avant leur découverte. Ils confirment aussi l’hypothèse de décapitations post mortem. « Le dernier point important, ajoute Me Baudouin, a trait à la datation de la mort des moines : elle serait antérieure de plus de neuf jours à la découverte des têtes. » « L’hypothèse du décès survenu entre le 25 et le 27 avril reste plausible », ajoute le rapport dont les auteurs se basent sur l’état de décomposition des têtes à leur découverte et sur les analyses menées sur l’apparition de cocons d’insectes. Ils reconnaissent toutefois ne pas pouvoir déterminer avec précision la date de la mort.

Un crime revendiqué par le GIA

Si ces éléments ne disent rien de nouveau quant aux responsabilités de ces assassinats, ils renforcent le scepticisme envers la version officielle du déroulement des faits. « L’absence d’autopsie initiale, le fait d’avoir dans un premier temps dissimulé l’absence des corps, le fait que les décapitations aient eu lieu post mortem et maintenant les questions autour de la datation de la mort : tous ces éléments font peser un doute très fort sur la version algérienne », estime Patrick Baudouin.

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Les sept religieux – Christian de Chergé, Luc Dochier, Paul Favre-Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard – avaient été enlevés à Tibéhirine par une vingtaine d’hommes armés. L’Algérie était alors en proie à une guerre civile opposant des groupes islamistes armés aux militaires. Ce n’est que le 23 mai que le Groupe islamique armé (GIA) revendiquait les avoir assassinés deux jours plus tôt. Les têtes furent découvertes le 30 mai sur une route. Les corps n’ont jamais été retrouvés.

Mais cette version a été régulièrement dénoncée, certains accusant l’armée algérienne d’être impliquée dans la disparition des religieux. Vingt-deux ans après le drame, les circonstances de la mort des sept moines trappistes restent controversées, et l’affaire continue d’empoisonner régulièrement les relations franco-algériennes. « Nous souhaitons que l’instruction se poursuive, en attendant qu’un jour, les langues se délient en Algérie », conclut l’avocat.



Source : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/29/m...